Les vestiges de l'architecture nazie

Le grand dôme de Germania vu sous l'arc de triomphe
Maquette de Germania.
Deux axes Nord Sud et Est Ouest structuraient le plan.
Cette décomposition se retrouve aussi bien dans le plan de l'ancienne Alexandrie (Argeus, voie canopique) que dans le plan Voisin de Le Corbusier 
Le plan de reconstruction de Berlin Est en 1951.
On reconnait la silhouette caractéristique d'un gratte ciel soviétique d'après guerre du type des 7 sœurs de Moscou.
Seule la Stalinallee sera exécutée 
Le ministère de l'aviation en 1940, oeuvre d'Ernst Sagebiel qui fit aussi les plans de Tempelhof.
Le ministère de l'aviation avec la décoration martiale de Waldschmidt
Le ministère de l'aviation redécoré par Max Lingner en 1951 d'une fresque à la gloire de l'édification du socialisme et devenu aujourd'hui Ministère des Finances.
Les vicissitudes  du bâtiment apparaissent dans le roman de Günter Grass " Toute une histoire" 
Sur la Fehrbelliner Platz le " Reichsgeetreidestelle"
L'immeuble aujourd'hui: les bas reliefs ont disparu
Cet article est consacré aux caractéristiques de l'architecture voulue  par Hitler et Speer et à une brève évocation des bâtiments actuellement subsistants.
Ce texte fait partie d'une série consacrée à l'art totalitaire.

L'architecture nazie et l'architecture stalinienne partagent le même désir de grandeur "romaine" et  l'utilisation d'un vocabulaire classique.
Staline n'avait pas de gout particulier pour les arts au contraire d'Hitler dont c'était la passion la moins dangereuse.
L'architecture Stalinienne d'avant-guerre n'est qu'une triste copie des bâtiments officiels du XIX eme siècle. Cette architecture est coûteuse et les méthodes de construction sont artisanales alors que les besoins de l'URSS sont immenses.
L'architecture du Reich est  néo-classique, comme l'est le palais de Chaillot ou les bâtiments administratifs de Washington (1) et presque tous les bâtiments officiels des années 30.
Hitler et Speer, son principal architecte (2), ne veulent des bâtiments à structure métallique apparente et à pans de verre que pour les usines ou pour les gares.
Pour tous les bâtiments officiels on utilisera des solutions modernes (structure métallique ou béton armé, air conditionné) mais cachées par des parements de pierre. Ces bâtiments se veulent  majestueux et assez dépouillés avec une succession infinie de fenêtres rectangulaires identiques. Les colonnades sont massives et la symétrie la règle impérative.
Les projets du Reich deviennent de plus en plus démesurés  au fil des années, leur réalisation s’arrête en 1940 pour cause d’effort de guerre.
La décoration était formée de bas reliefs et de statues qui formaient contraste avec les murs nus. Elle a partout été détruite ou pauvrement remplacée ce qui accentue la froideur des édifices subsistants.(3).

Berlin

La ville  donna lieu à plus de projets grandioses qu'à des réalisations concrètes.
A la fin de la guerre Berlin n'est qu'un amas de ruines ou sur 1560 000 logements de 1940, il ne subsiste que 370 000 relativement habitables.
Les bâtiments officiels épargnés furent, pour les plus "marqués", détruits après guerre , les autres étant "adaptés" par un changement de décoration.(4).

Hitler voulait une capitale qui surpasse toutes les autres: Germania.
Les plans futuristes de l'époque - la ville radieuse de Le Corbusier, le nouveau Moscou, Germania- se rejoignent sur une idée: une ville structurée par une croisée d'axes Nord-Sud, Est-Ouest.
Le plan de Le Corbusier insiste sur l'adaptation de la ville à la voiture: ces axes sont des autostrades. Les axes de Germania se croisent à niveau: il s'agit de créer une scène grandiose pour des défilés (5)
L'axe  Nord-Sud de cinq kilomètres et de 120 m de large, est bordé par onze ministères, par l’hôtel de ville, par la préfecture de police, le palais du Führer, un Arc de triomphe, et, à l’extrémité septentrionale, le Grand Dôme.
Le grand Dôme, la grande halle du peuple, devait pouvoir accueillir 150 000 personnes. Démesuré, avec 290 m de haut il  était surpassé par le projet de  palais du peuple de 430 m de haut que prévoyait Staline à Moscou.

L'ancienne chancellerie fut d'abord agrandie en 1933 avec l'adjonction d'un balcon pour que le führer puisse s'adresser à la foule.
La nouvelle chancellerie fut inaugurée le 12 janvier  1939. Il fallait parcourir 250 m -traverser une galerie des glaces et un salon de marbre rouge- pour atteindre l'énorme bureau de 400m²  et 10 m de hauteur d'Hitler. Ce bâtiment n'avait rien de fonctionnel, c'était purement un décor de théâtre, mais il cachait dans ses jardins deux bunkers, dont celui du führer (ou il se suicida).
Elle se situait entre la Vossstrasse et la Wilhelmstrasse. Cette partie de Berlin appartint au secteur russe, la chancellerie fut démolie en 1949 mais les bunkers murés subsistèrent près de la zone du mur de Berlin. "Retrouvés" en 1990, partiellement détruits, le führerbunker fut   à nouveau muré.

La guerre a presque tout effacé, même les anciens noms des places et des rues. L’actuelle Theodor-Heuss Platz fut un jour l’Adolf Hitler Platz, la Rosa-Luxemburg Platz s’appela jadis Horst-Wessel Platz, et la rue Goebbels fut rebaptisée Siemensstrasse.

Quelques  réalisations  sont toujours debout. On peut mentionner les immeubles de la Fehrbelliner Platz, le Stade Olympique sur lequel veillent les colosses de pierre d’Arno Breker, le ministère de la propagande,  l'immeuble du service du travail du Reich à Grunewald, l'ambassade d'Italiele ministère de l’Aviation, et l’aéroport de Tempelhof, où on distingue nettement l’emplacement des aigles et des croix gammées détachés en 1945.
De Germania proprement dite  il subsiste le long de l'axe est-Ouest les candélabres d'Albert Speer et le Ernst-Reuter-Haus. Le monument de l'armée soviétique se dresse à l'endroit ou devait se trouver le grand Dome.
  1. Citons : la réserve fédérale (Crete 1937), la rotonde "romaine" du mémorial Jefferson (Pope 1937), la National Gallery ( Pope 1939) , la cour suprême, les Archives nationales...
  2. Troost fut d'abord l'architecte du parti mais il meurt en 1934. En matière d'art nazi  les théoriciens étaient Alfred Rosenberg ( le mythe du XXe siècle) et l'architecte Paul Schultze-Naumburg (Art et race).  Outre Speer on peut citer  les architectes Wilhem Kreis,  Fiedrich Hetzelt , Werner March, Ernst Sagebiel.  
  3. Il s’agissait essentiellement de sculptures et de bas reliefs et ainsi furent détruites la majorité des œuvres Arno Breker et de Josef Thorak, les deux grands sculpteurs du Reich.
  4. Cette opinion peut paraître paradoxale dans la mesure ou des aigles enserrant des croix gammées ou des colosses musclés n'ont rien de gais. On peut aussi imaginer le palais de Chaillot privé de ses décors. 
  5. L'adaptation à la voiture n'est cependant pas oubliée car on prévoit des rocades circulaires. Speer prévoit aussi de supprimer des gares têtes de ligne en doublant le chemin de fer de ceinture pour permettre le passage des grandes lignes. D'après Speer seule la voie triomphale et ses monuments intéressaient Hitler. 

L'exemple du bâtiment de la Reichsbank

Les premiers projets du bâtiment datent de 1932 et sont pour moitié "modernes", pour moitié "traditionnels".
En 1933 le nouveau chancelier imposa le bâtiment actueL
Rescapé des bombardements de Berlin, ce fut le siège du comité central du parti communiste avant d'être aujourd'hui ministère des affaires étrangères 
Le projet Mies van RoheLe projet de Hans PoelzigLa maquette du projet Pinno-Grund
Le hall de la Reichsbank en 1940Le hall en 1951 lors de la fête de la jeunesseLe hall transformé en salle des congres du CC
le grand escalier avec l'aigle de Ludwig GiesLe grand escalier à l'époque du CCLe grand escalier aujourd'hui
Façade sur le canal de la  Spree en 1940Manifestation vers 1956.
Notez l'ancien  bâtiment de la Reichsbank en ruines 
Façade sur le canal de la  Spree aujourd'hui, avec en arrière plan le bâtiment moderne des affaires étrangères 
Coupe sur les 4 ailes.
On distingue le système d'éclairage zénithal du grand hall au dessus duquel sont "suspendus" 3 étages 

En 1933 la Reichsbank met au concours l'extension de ses bâtiments. 30 architectes sont invités à concourir parmi lesquels des "modernes" -Gropius, Haesler, Mies Van der Rohe, Poelzig -, des "conservateurs" - Bestelmeyer, Kreis, Tessenov- et des activistes nazis -Frick, Pinno & Grund-.
En juillet 33 le jury désigne six finalistes: 3 conservateurs et 3 modernes. Une nouvelle sélection retient 3 projets: Mies Van Rohe, Pinno & Grund  et   Heinrich Wolff.
En septembre 1933 le nouveau chancelier se penche sur le projet et décide sa réalisation immédiate sur les plans Heinrich Wolff.
Le secteur entre le canal de la Spree et la Kurststrasse est rasé. La première pierre est posée par le führer en mai 1934.
On construisit quatre  ailes avec de longues façade courbes et une façade monumentale au Nord avec des bas-reliefs de Thorak. En cours de chantier on décida d'équiper le bâtiment de l'air conditionné et les techniciens allemands partirent aux USA prendre des conseils.
Le bâtiment fut inauguré en 1937 mais ne fut pleinement "opérationnel" qu'en 1940.
Durant la guerre son sous sol blindé servit de dépôt d’œuvres d'art des musées de Berlin et d'abri.
Il était presque intact à la libération, le président de la Reichsbank, Schacht, s'assit sur le banc des accusés du tribunal de Nuremberg.
Il servit d'abord au commandement soviétique. Ce fut ensuite le ministère de l'intérieur de la RDA   jusqu'à ce que l'on décide en 1958 de l'affecter au comité central du parti. Le bâtiment est alors rénové et sécurisé, les immeubles alentours furent détruits.
A la chute du mur il devint la maison des parlementaires. C'est aujourd'hui le ministère des affaires étrangères avec en face à face au Nord un bâtiment moderne par T Müller et I Reimann

Königplatz avec le Führerbau, les temples aux martyrs et la maison du parti.
Vue d'ensemble du terrain des congrès.
1) halle Luitpold, 2) arène Luitpold, 3) tribune,4) monument aux morts de 14, 5) halle des congrès ( inachevée), 6) palais de la culture, 7) pavillon d'exposition, 8) domaine Zeppelin, 9) tribune Zeppelin, 10)ancien stade, 11) nouveau stade allemand ( projet), 12) Champ de Mars
La halle des congrès à Nuremberg en construction.
Albert Speer conçu le nouvel atelier de son ami  Josef Thorak près de Munich à Baldham..
Thorak et Arno Brecker étaient les deux plus grands sculpteurs nazis et leurs œuvres qui décoraient les édifices officiels furent détruites à la libération.
L'atelier existe toujours 
Pont sur le Danube à Linz avec les statues de Siegfried et de Krimhilde par Plettenberg. Deux autres statues de Brunehilde et de Gunther étaient prévues.
Les statues furent détruites à la libération, le pont est toujours là.
Pont sur la Vistule avec tours de garde
Usine aéronautique
Intérieur du Carinhall de Goering 
Bâtiment d'habitation et sa tour de défense aérienne
La Flaktürme d'Hambourg après les bombardements.
Sur les 8 tours de flak construites seule celle du zoo de Berlin a été détruite après guerre
Projet de monument du travail sur les  autoroutes par Thorak..
Le modèle de plâtre fut réalisée.

Munich

C'est "la capitale du mouvement". Paul Troost y construisit deux temples à la mémoire des 19 victimes  du putsch raté du 9 novembre 1923 sur la Königplatz. Il construisit aussi de part et d'autre le Führerbau et le bâtiment du parti. Les temples furent dynamités à la libération et on vient d'exhumer les fondations de l'un deux. Les deux autres bâtiments sont aujourd'hui l'université des arts et la maison de la culture.

Nuremberg

C'est la ville des congrès du parti. 
Le terrain des congrès du parti est  15 fois plus grand que le centre historique. Il est constitué de trois grands espaces de rassemblement - Luitpold , Zeppelin, champ de Mars -  reliés par une route servant aux défilés. Deux gares desservaient l'ensemble.
On ressent la mégalomanie croissante d'Hitler au fil de l'extension du site.
Les nazis sont partis d'un espace d'exposition existant et l'ont agrandit, ils construisirent ensuite l'énorme tribune Zeppelin,  puis ils  entreprirent  la  gigantesque halle des congrès et projetèrent un  grand stade hors d'échelle.

La halle Luitpold  avait été construite en 1906 pour abriter des expositions industrielles  mais fut agrandie pour pouvoir contenir 15000 personnes et dotée d'une nouvelle façade.
Elle a été détruite mais on peut en voir l'intérieur dans  le film de Leni Riefenstahl "le triomphe de la volonté" sur le congrès de 1934.
L'imposante tribune Zeppelin est toujours debout, seulement amputée de sa croix gammée, mais la galerie aux piliers a été dynamitée en 1967 car menaçant ruine.
La halle des congrès, dont l’extérieur rappelle le Colisée,  devait être un énorme théâtre romain pouvant accueillir 50 000 personnes. Il est toujours là , inachevé.
Le grand stade de 400 000 spectateurs ne fut qu'un projet mais  une maquette d'une partie des  gradins de 82m de haut fut cependant construite sur la pente d'une montagne dans l'Hirschbahtal.
La grande route était  recouverte de plaques de marbres rouges dont certaines ont été arrachées pour servir à des œuvres d'art modernes.
Il subsiste aussi des casernes SS édifiées par Franz Ruff.

Près du centre de Nuremberg, sur l'actuelle Willy Brandt Platz on peut voir le Gauhaus, l'immeuble du parti construit par Franz Ruff ainsi que  la poste et la maison d’hôtes du parti sur la Bahnhofplaz.
La grande école Hermann Göring construite dans un style traditionnel et inaugurée en 1940 se trouve rue Oedenberg.et est devenue la Konrad Brok schule.

Prora sur l’île de Rügen 

"La force par la joie" était l'organisation de loisirs du parti et elle disposait de très gros moyens. On décida de construire sur l’île la "piscine des 20 000".
Une maquette fut exposé dans l'entrée du pavillon allemand de l'exposition de 1937 à Paris et reçu le grand prix d'architecture. Deux bâtiments de 2 km de long furent construits  de part et d'autre d'une place des fêtes pour abriter 10 000 chambres toutes face à mer. On prévoyait aussi sur la  place des fêtes des cinémas, un théâtre et une salle de 15 000 personnes assises.
Durant la période de la RDA les bâtiments servirent de caserne. Abandonnés en 1990 et très dégradés ils sont aujourd'hui inscrits au patrimoine national.

Linz

Hitler eut de grands projets pour cette ville ou il souhaitait construire la maison de ses vieux jours et avoir sa sépulture mais la seule réalisation fut un pont sur le Danube. Giesler réalisa le plan d'aménagement qui comprenait le Führermuseum, la maison du parti avec un campanile et une énorme salle de réunion, un autre pont suspendu,..

Autoroutes et ponts 

La première autoroute allemande ne doit rien à Hitler puisqu'elle fut construite en 1932 entre Cologne et Bonn.
Fritz Todt fut immédiatement nommé par le nouveau chancelier pour réaliser rapidement un programme d'autoroutes. La première autoroute du Reich -Darmstadt Heidelberg- fut inaugurée en 1935. Il y aura 3000 km d'autoroutes  en 1940
Les ponts sont souvent flanqués de tours de garde/abri, ils ont pour la plupart été détruits.

Usines 

Les formes et les solutions modernes étaient parfaitement admises pour les usines du Reich.
Deux villes nouvelles furent créées autour d'usines.
  • Salzgitter fut la ville d"Hermann Goering Industries" fondée pour l'extraction et le traitement du minerai de fer.
  • Wolfsbourg fut bâtie pour la voiture du peuple -Volkswagen- de " la force par la joie". On devait acheter la voiture avec un livret d'épargne sur lequel on collait des timbres. Il y eut 300 000 souscripteurs mais pratiquement pas de voitures livrées.
Durant la guerre de sinistres usines souterraines furent creusées par des déportés.  Leurs tunnels existent toujours pour la plupart mais sont murés.

Les maisons traditionnelles

La tradition consiste en des toits de tuile pentues et en des colombages. Ces éléments sont employès pour des bâtiment de taille modeste ou devant rappeler la tradition germanique.
Il en est ainsi des fermes modèles dont des exemples existent en France à Marckholsheim.
Les cités ouvrières ont également des toits traditionnels comme celle de l'usine Heinkel d'Oranienburg
Dans le centre de Nuremberg on édifia des bâtiments dans le style franconien classique  pour accentuer le caractère "historique" de la ville.
Les résidences de campagne des chefs du parti furent toutes bâties dans un style traditionnel.
Le CarinHall, la résidence  de Goering,  fut construit sur les plans d'Hetzelt et de W March à une soixantaine de kilomètres de Berlin. Il n'en reste que des vestiges mais le "Gut Borkenberge ", toujours debout, est considéré comme une copie réduite.
Le Berghof s'inspirait des chalets de montagne, son élément le plus original étant l'énorme vitre du salon. Selon Speer c'est Hitler qui dessina lui même  les plans à l'échelle.

Les tours de défense aérienne

Les directives de 1937 et 1939 prévoyaient des tours de défense aériennes dans les zones d'habitation.
Rondes ou carrées, parfois ressemblant à des tours médiévales, elles contenaient des abris superposés.
Il en reste à Hambourg, Berlin et Munich.
A partir de 1940 furent construites des tours comportant des batteries de DCA  à leur sommet - Flaktürme -à Berlin, Hambourg et Vienne.

Sites et références