La filature du coton au XIX e siècle

Le XIX e siècle connait l'explosion de la filature du coton. Les anglais sont les inventeurs des machines et les principaux producteurs mais ils sont rattrapés à la fin du siècle par les Etats Unis. En France c'est bien sur dans le Nord, en Alsace et en Normandie que l'on filera le coton.  Toutes ces usines énormes ne sont que des souvenirs, elles ont été démolies ou au mieux converties en centres culturels ou en HLM. 

Dans le cartouche, la modeste usine Schlumberger à Guebwiller en 1808, l'eau est la force motrice.
La même usine 100 ans plus tard. 
Moteur à vapeur monocylindre.
La force des moteurs varie de 100 à 1000 chevaux vapeur ( 73kW à 730kW)
Moteur Compound de 1000 CV (la vapeur se détend dans 2 pistons successifs)
Filature ELM à Oldham
Les filatures sont des bâtiments de plusieurs étages à l'allure de châteaux forts. Les chaudières et la  machine à vapeur sont dans un bâtiment annexe 

Cet article traite du fonctionnement d'une filature, un autre article traite du fonctionnement de la mule Jenny originale (spinning Jenny) et un troisième de  la mule Jenny automatique (renvideur)

Le coton est une substance fibreuse et duveteuse qui enveloppe les graines des diverses variétés du cotonnier (Gossypium). Il se cueille quand les capsules à semence qui le renferment s'ouvrent à la maturité et que le duvet floconneux s’en échappe ; c’est ce qu’on appelle la récolte. Les principaux producteurs sont les Etats Unis (sauf durant la guerre de Sécession) et l'Egypte suivis des Indes et du Brésil.  
Le coton récolté passe à l’égreneuse qui sépare le duvet de la graine. Puis il est amené dans des centres où il est pressé et mis en balles au moyen de presses hydrauliques ; c’est dans cet état qu’il arrive dans les filatures.

L'énergie

Au début du siècle la seule énergie disponible est celle des chutes d'eau. Celles ci ne peuvent faire tourner que les quelques machines de petites usines.
Le XIX e siècle est celui de la vapeur. les chaudières et les machines sont installées dans un bâtiment séparé avec une grande cheminée caractéristique souvent ornée du nom du fabricant. L'énergie est transmise par une série de courroies et de poulies à la filature qui comporte généralement plusieurs étages au plafond traversé par des arbres de force. Les machines embrayent ou débrayent de ces arbres en passant d'une poulie folle à une poulie fixe (solidaire de l'arbre).
A la fin du siècle le moteur électrique fait une timide apparition mais il est utilisé en remplacement de la machine à vapeur. On perd ainsi son principal avantage que l'on n'exploitera vraiment qu'au XXe siècle: avoir un ou des moteurs par machine que l'on arrête et démarre   à volonté.
Plan d'un étage de la filature ELM.
De droite à gauche: Ouvreuses et batteuses (séparées car produisant beaucoup de poussière), Rope Race (chambre de passage  des courroies), Cardeuses, bancs à broches, bancs d'étirage.
Les ateliers sont traversés par des arbres de force ( ici les cardeuses).
Au début du XXe siècle la machine à vapeur de l'usine entrainera une dynamo, quelques machines auront leur moteur électrique mais les poulies ne disparaitront vraiment qu'après les années 30


Brise balles Hetherington
Le coton passe entre 3 séries de rouleaux à dents et est emporté par un tapis
La chargeuse brise-balles effectue le mélange du coton si nécessaire , puis dans la salle des batteuses on passe à l'ouvreuse et ensuite à un  premier batteur, puis à un batteur finisseur 

Ouvreuse verticale.
Le coton est introduit à la base, les matières légères (le coton) projetées par les battes remontent alors que les matières lourdes sont projetées horizontalement. 
Carde manuelle  à rouleaux décrite par de La Platrière en 1800
Banc d'étirage
Mécanisme d'une peigneuse.
Inventée en France par Heilmann mais principalement produite par Hetherington & Sons.
C'est une machine complexe dont le mouvement imite celui qui peigne ses longs cheveux en prenant mèche à mèche et en passant la brosse.
Banc à broches Platt
Métier en continu.
Elle comporte des rouleaux dévideurs et un "rouet" perfectionné.
Descendante de la machine d'Arkwright, elle ne convient pas pour les "gros numéros" ( les fils fins)
Renvideur

Descendant de la mule Jenny, c'est la machine la plus complexe de la filature, son chariot et ses broches tournantes effectuent un mouvement alternatif subtil. Son fonctionnement est expliqué ici

Le traitement du coton

Pour transformer le coton en fil continu on a recours aux mécaniques suivantes :
1° La brise-balles et la machine à mélanger. - Le coton brut est épluché et jeté ensuite par parties à peu près égales dans les bacs-mélangeurs. Tout travail à la main pour cette opération est supprimé par cette machine.
2° La chargeuse automatique, qui transmet régulièrement et automatiquement une. même quantité de coton à la mécanique décrite au numéro suivant.
3° L’ouvreuse. — Cette machine sert à ouvrir les flocons par le battage, et simultanément à enlever les grandes impuretés ainsi que les fibres trop courtes. Le coton y est ensuite enroulé, sous forme de nappe, autour d’un tuyau creux de façon à ce que les différentes couches ne puissent coller ensemble ; on obtient ainsi des nappes d’une même longueur et autant que possible d’un même poids.
Chargeuse 
C'est un tapis roulant à aiguilles qui passe en haut devant un rouleau débourreur
Ouvreuse verticale( Crighton) combinée avec un batteur

 4° Le premier et 
 le 2e batteurs. — Ces machines servent à nettoyer le coton et à enlever les poussières. Comme dans l’ ouvreuse le coton est projeté contre des grilles par des batteurs à grande vitesse, et ces grilles sont disposées de manière que les impuretés puissent seules traverser; les fibres, au contraire, sont aspirées par l’air et conduites aux tamis qui écartent les fibres trop courtes. Les nappes ou bandes sortent de ces machines avec une même épaisseur. 
Carde à chapeaux tournants
Carde à chapeaux tournants.
On a une centaine de chapeaux monté en chaine circulant dans le même sens que le grand tambour à une vitesse différente.  

5  La carde. — Les fibres de coton sont démêlées et autant que possible parallélisées ; les fibres trop courtes et toutes les impuretés qui sont restées dans le coton sont enlevées en même temps. La bande de coton est transformée en un voile très fin puis en un ruban d’un doigt d’épaisseur ; ce ruban est généralement de 80 à 90 fois plus fin que la bande amenée. 
6° Les bancs d'étirage. — Les rubans de carde n’ont pas une épaisseur uniforme et les fibres ne. se trouvent pas absolument parallèles les unes aux autres. Pour y remédier, six ou un plus grand nombre de rubans de cardes sont étirés sur trois bancs successifs de manière à former un seul ruban de la même épaisseur que ceux amenés. L’étirage et le doublage successifs produisent un ruban uniforme et la parallélisation de toutes les fibres. 
7° Le peignage (dans quelques cas seulement) pour éliminer les fibres trop courtes et celles présentant des boutons. On emploie uniquement la peigneuse pour les meilleurs classements de coton comme la longue soie de Géorgie et le Jumel. 

Banc à broches. 
Ils assemblent et tordent plusieurs rubans. 

Après ce traitement (le dernier banc d’étirage ou la peigneuse) le coton est propre à subir les opérations nécessaires pour le transformer en fil, la dernière phase de la filature. On emploie à cette fin trois bancs à broches et une mécanique qui donne la dernière torsion aux fils. 
8e Les bancs à broches, en gros, intermédiaire et en fin. Les rubans doivent être affinés ou étirés, et cet étirage doit se faire graduellement, c’est-à-dire un peu à la fois pour éviter de produire des fils boutonnés. Comme la fibre de coton est trop courte pour subir un étirage trop grand, on a recours à 3 bancs successifs, et sur les deux derniers on fait habituellement encore un doublage de 2 mèches, c’est-à-dire que deux mèches sont étirées ensemble et transformées en une seule. 
9° Les mécaniques de filature proprement dites (métier continu ou self-acting). Les mèches des derniers bancs à broches sont travaillées sur ces métiers. Elles sont affinées, tordues pour donner la solidité nécessaire et enroulées ensuite sur des fuseaux ou sur des cannettes. Sur le métier continu, l'étirage, la torsion et l’enroulement du fil se font sans interruption. Sur le self-acting on file une longueur d’ environ 1,67 m. ; on arrête ensuite l’opération et cette longueur est enroulée avant de filer la longueur suivante. 10e Le dévidoir. — Le fil enroulé sur des bobines ou sur des busettes en papier est transformé en écheveaux d’ une longueur déterminée. 

Lorsque le fil est destiné à la France, on fait des piquets ronds de 10 kilos. Pour l'exportation, on forme des paquets rectangulaires de 5 kilos pour le numérotage Belge et de 10 livres anglaises pour le numérotage Anglais. Le fil est fortement pressé et les écheveaux sont placés entre deux feuilles de papier et ligotés au moyen de 4 cordes. 

Renvideur Grün. Version Alsacienne du renvideur Platt 

Quelques filatures

Filatures Lion and Bee Royton.
Deux unités de 100 000 broches, machines Platt. Lion a survécu mais pas Bee 
Comme toutes les grandes usines on recherchera d'abord les voies d'eau et plus tard l'accès facile au chemin de fer. 
Milton Spinning Company. Mossley 
Démolie en 2002
Filature de Douville sur Andelle.
Cette cathédrale brula en 1874 (accident fréquent pour une filature)
La première filature fut construite sur les ruines d'une vraie abbaye vendue comme bien national
Filature Motte-Bossut à Roubaix.
Ce château fort fut construit pour Louis Motte-Bossut qui décida en 1843 de se lancer dans le coton
Aujourd'hui c'est le centre des archives historiques du travail

La cotonnière Lilloise. Lille
Construite à la toute fin du siècle et équipée de machines Platt
C'est aujourd'hui Eura Technologies
Filature de la Foudre près de Rouen.
Elle tire son nom de son premier moteur à vapeur récupéré sur le remorqueur "la Foudre".
Construite sur des plans et avec du matériel anglais vers 1845 (architecte Fairbain, matériel Platt et Schlumberger (licence Parr Curtis)), c'est probablement alors la plus grande de France  
Filature Cartier-Bresson (la famille du photographe) à Pantin.
Le siège social et le magasin de vente était au 86 bd Sebastopol à Paris.
Je suis assez vieux pour avoir connu le magasin d'exposition de machines textiles Terrot 94-96 Bd Sébastopol.
La région parisienne aussi a eu ses filatures
Filature à Varano.
La seule à soigner son espace intérieur
Filature de 30 000 broches à Tannwald. Bohème ( Tchéquie)
Notez à gauche la demeure patronale et le cadre champêtre.
L'architecte est sir Philip Sidney Stott de Manchester
Filature du Baron de Liser à Schlan Bohème ( Slany en Tchéquie)
Le bâtiment, abandonné, existe toujours.
Fall river Iron Works. Massachusetts.
Elle comptera 450 000 broches
 

La première filature de coton du Japon établie par le seigneur de Satsuma en 1866. Kagoshima böseki-köjö
Le japon importe des machines Platt et Hartmann, en  1873 on construit la "Gala Spinning Machine"
Filature à Osaka 1888
Notez l'évolution en 20 ans d'avec Kagoshima

Filature Fuji.
Le Toyota Commemorative museum of industry and technology contient un pavillon réservé à l'industrie textile unique au monde.

Filature Kohinoor Bombay
Bombay fut "la Manchester de l'Est", elle profita de la guerre civile américaine, il n'en reste pas grand chose.


Filature à Rio de Janeiro


Quelques termes utiles pour lire la documentation anglaise

Strap, gear: courroie, engrenage 
First motion shaft: arbre moteur (principal)
Fast-pulley, loose-pulley: poulie fixe, poulie folle
Spindle: broche
Creel: cantre
Bale breaker: brise balles
Beater scutcher: batteur nappeur
Slubbing frame: banc à broches en gros
Roving frame: banc à broches
Drawing frame: banc d'étirage
Spinning frame: métier à filer en général ou renvideur
Ring spinning frame, Throstle: métier en continu
Self acting: renvideur

Sources et références