Les refusés du Salon au XIXe siècle.

Le jury du salon par Gervex
La peinture moderne devant le jury du salon par Cham
"Quel est votre nom ? La peinture moderne. Vous n'avez pas de prénoms ? Non, monsieur le Président. Ni de qualités ? Non monsieur  le Président. Très bien, le jury tiendra compte de votre franchise" 
Hamlet et Horatio de Delacroix refusé en 1836
Un élement du surtout de table du duc d'Orleans par Barye refusé en 1836
L'avenue des châtaigniers de rousseau refusé en 1837.
Les couleurs de ce tableau du Louvre ont très mal vieillies, le tableau est devenu noir. 
le baptème du Christ de Corot refusé en 1842. Ce tableau était destiné à l'église St Nicolas du Chrdonneret
Le bucheron et la mort de Millet refusé en 1839.
L'espada de Manet refusé en 1863 avec le déjeuner sur l'herbe
Vue de la Seine au pont Marie par Jongkind refusé en 1863.
Actuellement au Kunstalle de Hambourg
Les jurys du Salon refuseront au cours du siècle la nouveauté qui s’appellera successivement romantisme, réalisme, impressionnisme, symbolisme..
Au début du siècle le marché de l'art est peu développé, aussi l'artiste est celui qui est reconnu par ses pairs, celui qui qui expose au Salon,. Peu à peu apparaît le marchand d'art et l'influence  du salon diminue, l'artiste est reconnu par le "marché". 

L’organisation des peintres  à Paris remonte à la fin du XIV e siècle sous le nom d’académie de St Luc. Celle-ci avait son salon qui se tenait au XVII e siècle dans l'hotel du banquier Jabach. et se maintiendra jusqu'à la révolution. L"académie royale de peinture et de sculpture est une rivale créée sous l'impulsion  de  Le Brun avec la protection de Mazarin. Elle organise son "Exposition"  pour présenter les œuvres des lauréats de l'école des Beaux Arts. Devenu "Sallon" celui-ci se tint  à intervalles irréguliers  au Palais Royal, puis dans diverses salles du  Louvre.
Au XIX e siècle c'est une institution importante qui déménage du Louvre vers l'Orangerie des Tuileries, puis dès 1855 au Palais de l'Industrie et ensuite au Palais des Arts libéraux situé dans la galerie des machines. En 1901 il prendra ses quartiers au Grand Palais mais cela est une autre histoire, celle de la décadence du salon officiel.

Le salon dépend  étroitement du pouvoir en place et chaque changement dans son organisation se traduit par un changement de nom. Ce fut d'abord l' " exposition", puis le  " Salon de l'académie royale des Beaux arts", puis sous la révolution "le salon de peinture et de sculpture", à la Restauration  le "salon de l'académie royale",redevenu "salon de peinture et de sculpture" sous la seconde République, puis prend en 1881 le nom de "salon des artistes français".

C'est au Salon que l’État achète "les œuvres des artistes vivants" destinées au musée du Luxembourg . Le refus, voir le dos de sa toile frappé d'un grand R, était une catastrophe pour les jeunes artistes.

Le refus des romantiques

Dans les années qui suivent la révolution de 1830, le beau est celui des statues antiques..Pas de mouvements trop violents, des types d'hommes et de femmes idéaux, une convention des tons un peu froids. Les modèles étaient les tableaux de David et les dessins d'Ingres mais aussi Guerin ou Girodet-Trioson.
Les écrivains romantiques retrouvent Shakespeare et les mystères de la nature. Hugo écrit que les plus humbles choses ont le droit d'être décrites." J'ai dit au long fruit d'or: Mais tu n'es qu'une poire !"

En 1836 le jury refuse le Roi Lear de Boulanger, l'Hamlet et l'Horatio de Delacroix, la descente des vaches dans les montagnes du Haut Jura de Théodore Rousseau et des sculptures de Barye.
Ary Scheffer et un crtique du journal l'Artiste Gustave Panche  s'insurgent.  Des peintres comme Descamps et Johannot boudent le salon. Le duc d'Orléans est outré et demande à casser le jugement (ce sont les pièces du surtout de table qu'il a commandées à Barye qui ont été refusées). Du coté des partisans de l'Institut  on déclare aux contestataires" vous êtes des sauvages ivres" et les seconds impriment dans l'Artiste " Vous êtes des assassins".

Delacroix se présente à l'Institut en 1837, 1838, 1839 et on lui préféra à chaque fois d'illustres inconnus.
En 1837 Rousseau se voit refusé l'allée des châtaigniers.
Au salon de 1842 le jury refuse un tableau de Corot: le baptême du Christ.
En 1843 et 1844 les tableaux de Chaintreuil un peintre de paysages un peu oublié) Alexis et Corydon, Sara la baigneuse, la chute des feuilles, le Tombeau des quatre sergents de la Rochelle, sont tous refusés.
En 1845 l'éducation de la vierge et une Madeleine de Delacroix sont refusés ainsi qu'une nativité de Riesener, deux paysages d'huet et une Cléopatre de Chassériau.
En 1846 Millet se vit refuser une tentation de saint Jérome.
Chassérau détruit son tableau et Millet, faute de moyens,  peint Oedipe détaché de l'arbre sur son saint Jérome

L'institut tiendra bon jusqu'à la révolution de 1848 frappant du grand R infamant le dos des peintures trop romantiques.

Le refus des réalistes

La révolution de 1848 supprima le jury et  tout le monde put exposer mais le public s'indigna de voir des croûtes et prit l'habitude de lancer des piécettes au pied des tableaux qui lui déplaisaient trop.
Louis Napoléon Bonaparte rétablit un jury présidé par M de Nieuwerkerke formé non seulement de membres de l'Institut mais de critiques d'art ouverts aux idées nouvelles.
Un jury de 40 membres (dont Delacroix, Ingres, Corot, Isabey) est chargé de la distribution des récompenses: la médaillle d'honneur et les médailles de 1ere et 2ème classe. 
Le nouveau jury refuse de 1850 à 1859 les œuvres d'un débutant provincial: Courbet.
Le jury avait intégré le romantisme mais la nouveauté était le réalisme:  assez de la peinture  torturée des romantiques, place à l'ordinaire.
En 1859 la mort et le bucheron de Millet est refusée au grand désespoir de ce dernier fort à court d'argent.
Le jury refusa donc tout ce qui n'était pas romantique -Whistler, Vintreuil, Vollon, Laurens, Legros, Manet, braquemnt, Cazin Chavel, Fantin-Latour, Vayson, Jongkind -. mais accepta sans examen suivant le règlement " les œuvres des membres de l'institut, celles des artistes décorés ou ayant obtenu une médaille de première ou de seconde classe"
L'empereur créé en 1863 (1) un   salon des refusés ou on pouvait voir le déjeuner sur l'herbe, l'Espada de Manet , la jeune fille en blanc de Whistler et des oeuvres de Courbet. Les refusés eurent autant de succès que le salon officiel ce qui entraîna une nouvelle réforme du jury élu pour le 3/4 par les artistes et nommé por le quart restant par l'Etat 
En 1865 l'Olympia de Manet est acceptée mais subit bien des sarcasmes. Courbet disait de cette peinture " c'est plat, ce n'est pas modelé. On dirait une dame de pique d'un jeu de carte au sortir du bain"
    1. 1863 est aussi l'année de la réforme de l'école des Beaux Arts sur laquelle l'Académie avait la haute main. L'école n'enseignait guère que le dessin, l'élève devait donc intégrer l'atelier d'un artiste installé pour compléter sa formation. Suivant des idées  de Mérimée et de Viollet le Duc, la réforme dissocie le corps de professeurs des membres de  l’Académie, complète l'enseignement et crée des  ateliers internes. Viollet le Duc tentera d'occuper une chaire d'histoire de l'art mais devra renoncer devant la cabale des étudiants. L'Académie retrouvera le contrôle de l'école en 1871.

Les précurseurs des symbolistes

En 1850 Puvis de Chavannes expose au salon  un Christ mort, mais de  1852 à 1859  tous ses envois sont refusés et il expose avec Courbet aux Galeries Bonne Nouvelle
Ce n'est qu'en  1869 que  les grandes toiles de Puvis de Chavannes sont acceptées malgré une critique défavorable.
Gustave Moreau se voit refuser en 1852 Darius fuyant après la bataille d'Arbelles mais expose une Pieta. C'est au salon de 1864 qu'il exposera son célèbre Oedipe et le Sphinx. Dès lors reconnu il exposera aux salons sans problème jusqu'en 1880

Le jury est moins sélectif au fil des ans et le nombre d'oeuvres exposées augmente de  2745 en 1867 à 5434 en 1870.

Le refus des impressionnistes

L’avènement de la République  ne fut pas favorable aux novateurs.
Le jury, présidé par Meissonier, refuse en 1872 la femme couchée de Courbet.puis en 1876 le portait de Marcelin Reboutin par Manet.
Un groupe d'artistes nommés "les impressionnistes" décidèrent de bouder le salon et d'exposer chez Durand-Ruel..
Il y avait a nouveau deux clans ce qui aboutit en 1881 à une nouvelle réforme.
Le salon ne sera plus organisé par l'Etat mais par la "société des artistes français"  et le jury sera tiré au sort sur une liste issue du suffrage des artistes.
Ce nouveau salon va dès 1884 provoquer la création d'un nouveau "salon des refusés": le salon des indépendants Il exposera la baignade d'Asnières de Seurat, le pont d'Austerlitz de Signac puis des oeuvres de Rousseau,Cross, Redon, Dubois-Pillet, Vallat, Guillaumin, Angrand

Ensuite les salons se multiplieront alors que leur influence diminue au profit de celle des grands marchands d'art: les artistes ne seront plus reconnus par leurs pairs mais par le "marché"..

Les jurys sont toujours formés de notables, de gens "établis". Ceux ci sont peu sensibles aux nouveautés qu'ils n'ont pas pratiquées. Les marchands et les critiques sont plus "progressistes" puisqu'ils ont tout intérêt à lancer des peintres inconnus (et donc à forte plus-value pour l'intermédiaire).Ils ont aussi compris que le marché de l'art devenait international (c'est à dire à l'époque  anglais, américain et un peu russe)

Au début les marchands ne cherchent pas de nouveaux talents mais présentent des valeurs sures et  des peintres étrangers. Giroux fut le précurseur, il organise  une exposition dès 1816 et a d'abord une activité de  location de tableaux. La maison Goupil apparaît en 1827 et se consacre surtout à l'estampe.
Il y eut aussi  des personnages balzaciens de marchands de bric à brac comme le père Tanguy ou le père Soulier.
Gaugain, Deforge organisent des expositions vers la fin de la restauration, ce que continuera La Fizelière et Techener (aux galeries Bonne Nouvelle)  et Louis Martinet. Ces deux derniers marchands créeront aussi des revues "le bulletin de l'ami de l'art" et  "le courrier artistique".
Les revues sont d'ailleurs souvent un soutien pour les refusés, c'est le cas de "l'Artiste" fondé en 1831
Sous l'Empire on voit apparaître de nombreux marchands dont celui qui allait dominer le monde de l'art jusqu'en 1914: Durand-Ruel.
Dès 1855 les  Beaux Arts vont intéresser un plus large public grace aux expositions universelles qui leur réservent une section spéciale. .

Les grands marchands doivent imposer une seule nouveauté à la fois. Leur énergie en cette fin de siècle est d'abord consacrée à l’impressionnisme puis à des mouvements de plus en plus éphémères dont les critiques font des "ismes".
Par exemple Durand-Ruel  promeut l’impressionnisme (dont il a acheté un stock considérable) par des expositions à Londres en 1872, puis à New York en 1886  mais  ne commencera a acheter des toiles à Odilon Redon qu'en 1888 et  s’essaiera finalement au symbolisme en 1892 en  inaugurant la série des salons de la Rose Croix Le symbolisme donnera ensuite naissance au cloisonnisme, au synthétisme et au nabis mais cela est une autre histoire. 

Sites et références