L'électrification des filatures dans les années 20


Au XIX e siècle, un unique moteur à vapeur anime toutes les machines de la filature par l'intermédiaire d'arbres et de poulies.  Au début du XXe siècle le moteur électrique apparait dans les usines. Dans un premier temps il prend la place du  moteur à vapeur, dans un second temps chaque machine aura son propre moteur.
D'autres articles du blog concernent l'histoire de la filature 

 
 Sommaire
  • Le temps de la vapeur
  • L'électrification
  • Sites et sources 
  • 1889: le casse mèche électrique
L'usine  Schlumberger à Guebwiller. Dans le cartouche, en 1808, c'est une petite usine qui tire son énergie d'une chute d'eau, en 1908 la vapeur et l'invention de nouvelles machines  ont permis une énorme expansion 
Une filature consiste en un bâtiment à plusieurs étages avec en annexe  le bâtiment de la machine à vapeur qui actionne toute l'usine
Plan d'un étage d'une filature. Les machines sont des ouvreuses, des batteuses, des cardeuses, des peigneuses  et enfin des mules Jenny .
Chaque étage contient environ 20 mules de plus de 1000 broches soit 73 000 broches .
Vers  1900, la filature de la  Fall river Iron Works dans le Massachusetts  comptera 450 000 broches  
Un renvideur moderne SNC (Schlumberger) dans les années 20.
Il est toujours actionné par des courroies venant d'un arbre de force.
Il n'y a, à l'époque, pas d'autre façon de concevoir une machine effectuant automatiquement des mouvements complexes

Le temps de la vapeur 

La vapeur remplace l'énergie hydraulique  au début du XIXe siècle.
La machine à vapeur se situe dans un bâtiment annexe au pied de la grande cheminée portant souvent la marque de l'usine.
Un système complexe de courroies et d'arbres transmet sa force à toutes les machines de l'usine.

Chaque machine est donc conçue pour s'embrayer ou se débrayer d'un arbre de force. Ceci est obtenu par le jeu d'une poulie fixe et d'une poulie folle (non solidaire de l'arbre) côte à côte, en déplaçant la courroie de l'une à l'autre.
Ce système est généralement sur l'arbre de force (de transmission)

La machine la plus complexe de la filature est le renvideur dont la mécanique est basée sur deux poulies  commandant des mouvements inverses (la sortie ou la rentrée du chariot), la courroie venant de l'arbre de force passe de l'une à l'autre plus d'une dizaine de  fois par minute.

La conception des machines au temps de la vapeur est donc guidée par la nécessité de tirer l'énergie d'un arbre   tournant perpétuellement à vitesse constante.
Moteur à vapeur monocylindre.
La force des moteurs varie de 100 à 1000 chevaux vapeur ( 73kW à 730kW)
Moteur Compound de 1000 CV (la vapeur se détend dans 2 pistons successifs)
Chaque étage est traversé par des arbres de force au plafond sur lequel les machines s'embrayent (ici des cardeuses)

L'électrification


Filature de Mirecourt.
A gauche la version à vapeur, à droite la version électrique en 1903.
Dans la version électrique, c'est toujours une machine à vapeur qui entraine un alternateur triphasé alimentant à son tour des moteurs qui entrainent un ou plusieurs arbres de transmission.
Les moteurs électriques servent simplement à simplifier le schéma des arbres de transmission 

Filature Sagey reconstruite après guerre.
Bâtiment en béton, chaque ligne de transmission est alimentée par un moteur électrique 
Moteur asynchrone avec enrouleur automatique de courroie.
Le moteur électrique doit s'adapter à des machines qui étaient entrainées par de grands volants, il faut une solution qui prenne peu de place.
Lignes de transmission électrifiée avec secours "vapeur".
Si le courant manque, on peut embrayer le grand engrenage sur l'arbre le long du mur entrainé directement par la machine à vapeur.

Métiers continus en Alsace (allemande) en 1905.
Filature Lindgens à Hochneukirch, moteurs triphasés à bagues  Siemens.
Chaque métier à son moteur sans courroie. Il s'agit d'une réalisation en avance sur son temps. 
 
Commande par groupe de renvideurs.
Le renvideur appelle une puissance instantanée trop variable pour être entrainé individuellement.
Poste d'alimentation triphasé d'une filature.
L'électricité peut aussi fournir le chauffage de la filature (surtout si celle-ci à sa propre centrale) 
Au début du vingtième siècle on commence à abandonner l'éclairage au gaz pour l'éclairage électrique dans les villes, mais dans les campagnes il n'y a pas le moindre fil électrique.
L'électricité est utilisée pour certains chemins de fer, puis par l'industrie.
L'usine qui veut s'électrifier doit, dans beaucoup de cas, construire sa propre centrale électrique.

Avant la grande guerre beaucoup de filatures françaises en sont toujours à la machine à vapeur, sauf pour l'éclairage. Ce sont les destructions de la guerre qui permettront leur reconstruction en béton et l'électrification généralisée.
Le moteur électrique entraine généralement un ou plusieurs arbres de  force. 
Il faudrait que la machine soit spécialement conçue pour qu'un moteur électrique lui soit intégrée. Ce sera progressivement le cas pour les machines simples mais les machines complexes, comme les renvideurs, conserveront longtemps leurs courroies. 

Le moteur est à courant continu généralement de type shunt car sa vitesse reste à peu près constante en fonction de la charge. Il faut un rhéostat pour le démarrer sous peine de bruler l'induit.
Moteur shunt.
La résistance de l'induit étant nulle, un rhéostat est nécessaire au démarrage du moteur 
Le moteur-série (induit en série avec l'inducteur) est utilisé dans le cas de démarrage sous charge (son couple est proportionnel au carré de l'intensité du courant). Les gros moteurs nécessitent un rhéostat de démarrage mais de moindre puissance que celui du moteur shunt puisque la résistance de l'inducteur est élevée. L'inconvénient de ce moteur est sa variation de vitesse en fonction de la charge.

Le moteur compound est un moteur série avec un second  enroulement inducteur alimenté par une  dérivation sur les balais de l'induit. il combine les avantages des deux moteurs précédents.
Si le champ des deux enroulements s'ajoutent le couple de démarrage est élevé mais la vitesse décroit en fonction de la charge. Si les champs se retranchent le couple de démarrage passe par un maximum et la vitesse est constante.
Moteur compound.
Suivant le type de moteur, le  champ du second enroulement inducteur peut s'ajouter ou se soustraire au flux du premier enroulement 
Pour les moteurs à courant alternatif, on a d'abord  essayé des  moteurs synchrones, mais comme ceux-ci ne présentent pas de couple au démarrage celui-ci s'effectuait à l'aide d'un moteur continu placé sur le même axe Le mécanicien démarrait d'abord le moteur continu,  puis surveillant l'ampèremètre, il   basculait sur le moteur synchrone quand la vitesse était atteinte. 
Les moteurs asynchrones  tournent à  vitesse à peu près constante. Ils sont sans bagues ni  balais quand le rotor est formé de barres conductrices court-circuitées (cage d'écureuil)  et avec des bagues lisses quand le rotor est formé de 3 bobines.  Le moteur à cage d'écureuil a un faible couple au démarrage au contraire du moteur à bagues.  On le démarre généralement en étoile/triangle. Si le couple étoile est trop faible on se sert de l'enrouleur de courroie comme embrayage
Les moteurs à courant alternatif sont moins chers que les moteurs continus mais ne permettent pas un réglage  continu de la vitesse. 
Des moteurs asynchrones à double enroulement, double vitesse 750/1500 t/mn sont utilisés pour les métiers en continu: on démarre en 750t/mn, puis on passe sur le second enroulement. Ce type de moteur aura d'abord 9 fils de sortie, puis 6 fils lorsque l'on adoptera le couplage Dahlander.
Vers 1920 chaque machine va recevoir un moteur électrique individuel, sauf les cardes et les renvideurs.
Les cardes demandent, à cause de leur tambour, un gros effort au démarrage et un léger effort en marche continue (30CV, 1CV). On préfère les commander "par groupes", c'est à dire par un arbre de transmission traditionnel.
Les renvideurs demandent une puissance instantanée très variable (2CV à 30CV) à cause de leurs mouvements alternatifs. On a essayé de les commander avec un moteur accouplé à un gros volant ou même de les équiper de plusieurs moteurs, sans succès. Il faudra attendre l'automatisation "moderne" des années 50 pour revoir leur conception. 

Alternateur triphasé de la filature de Mirecourt.
400 Volts, induit fixe, inducteur mobile 60 pôles, 150t/mn, d'où (60x150)/(3x60) = 50hz, excitation par batterie ou génératrice.
Il est entrainé par une machine à vapeur de 500CV (dont on aperçoit le régulateur à boules).
Pour le démarrage de l'installation, on excite l'alternateur par batterie, puis on démarre la machine à vapeur. les moteurs démarrent donc lentement jusqu'à ce que la machine à vapeur atteigne sa vitesse de croisière. On passe ensuite l'excitation sur la génératrice .
On peut voir un alternateur de ce type à Electropolis
Métier à filer continu commandé par un moteur triphasé à collecteur.
Ce type de machine est habituellement commandé par un moteur bi-vitesse mais il s'agit ici d'un moteur dont la vitesse est réglée par le décalage des balais.


La machine à vapeur avait supplanté l'énergie hydraulique dans les usines.
Pour produire de l'électricité on va se lancer dans la construction massive de barrages: juste retour d'une énergie négligée. 

Sites et références 

Le casse mèche électrique 

1889 est l'année de l'Exposition Universelle.
L'attraction principale est bien sur la tour Eiffel.
En ce qui concerne l'électricité, on  discute des avantages respectifs de l'éclairage par lampes à arc ou par les toutes nouvelles lampes à incandescence de M Edison, on peut voir des moteurs électriques (très majoritairement à courant continu) et sur le stand de la société Schlumberger un banc d'étirage avec une nouveauté: le casse mèche électrique.

Le casse mèche sert à arrêter la machine si une des mèches de coton l'alimentant se rompt. 
Pour comprendre sa  réalisation mécanique il faut d'abord savoir que toutes les machines sont couplées à l'arbre de transmission de l'atelier par une courroie. On peut déplacer celle-ci d'une poulie solidaire de l'arbre à une poulie folle ( tournant librement sur l'arbre).
Le mécanisme   consiste en un levier EE' à deux branches d'équerre. Le ruban passe dans le conduit e et maintient le levier vers la gauche dans la position aE", si le ruban casse le levier retombe.
En dessous on a l'arbre A  et le levier BB' fou sur A. Celui-ci est entrainé par une bielle venant en B'. Si EE' est levé BB' oscille  comme l'arbre, mais s'il baisse B est retenu par le crochet b  et le manchon M pousse par se dentures le manchon M2 ce qui libère le levier D  qui bascule sous l'action du contrepoids P et fait passer l'entrainement de la machine sur la poulie folle.


La société alsacienne proposait un guide mèche constitué d'une plaque courbe isolée du bâti et sur laquelle s'appuie un petit rouleau en fonte. Si la mèche casse le contact rouleau-plaque s'ouvre or ce circuit maintenait à l'aide d'un électroaimant  un levier de même type que le levier D du montage mécanique.
Il est remarquable que ce dispositif fonctionne par ouverture d'un contact, et non par fermeture, ce qui permet de réagir à un défaut du système de sécurité lui même.  Il est inspiré des dispositifs qui commencent à être adoptés pour les sémaphores des chemins de fer.
Le texte décrivant le dispositif précise " ce procédé n'est malheureusement pas applicable partout; il faut un courant d'une certaine énergie qu'on ne peut guère emprunté qu'à une dynamo, et les moyens employés pour l'isolement des pièces ne paraissent pas présenter des garanties de longue durée"