La redécouverte de Palmyre par Halifax et Wood

En 1691 une expédition de marchands de la "société britannique du Levant" atteint Palmyre et y séjourne 4 jours. Cela sera suffisant pour que les comptes rendus de l'expédition, parus dans Philosophical Transactions, éveillent l’intérêt de l'Europe pour cette ville oubliée.
Une nouvelle expédition est montée par Robert Wood en 1751, elle séjournera 15 jours à Palmyre et la relation de l'expédition, ornée de 57 gravures, paraîtra en anglais et en français.

La première vue de Palmyre par Hofstede (?) parue en 1695 dans Philosophical Transactions
De gauche à droite: temple de Bel, portique,sépulcres, château turc
Vue de Palmyre dans  "un voyage au levant" par  Brujin 1702. Celui-ci a beaucoup voyagé mais n'a jamais mis les pieds à Palmyre: il recopie, en "l'améliorant", la gravure précédente.
Son compatriote Cornélius Loos atteindra bien Palmyre mais ses récits sont perdus.
Vue générale de Palmyre depuis le Nord-Est dans l'ouvrage de  Woods 1751
De gauche en droite. En A le temple de Bel. B: tour carrée bâtie par les turcs. C: Mur d'enceinte du temple. D: cultures arabes. E: grande colonne. F: mosquée turque.  G: grande colonne. H: arc. I: petit temple. K: quatre colonnes. L: colonnes. M: petit temple. N: temple. 
Vue générale de Palmyre depuis le Nord-Est (suite)
De gauche en droite. N: temple. 0: quatre piédestaux.  P: file de colonnes. Q: église chrétienne ? R: grand édifice. S: colonnes. T: sépulcre. V: édifice de Dioclétien ?  W: sépulcre. X ruines de fortification turque. Y: sépulcre. Z: château turc. a: sépulcres hors les murs.  

En 1678 seize anglais de la compagnie du Levant quitte Alep pour tenter d'aller à Palmyre. Piégés par un cheikh local ils sont totalement dépouillés et n'atteindront jamais Palmyre.

L’expédition de 1691, les textes d'Halifax, Lanoy et Goddyear

Treize ans plus tard, la situation dans la région s'est améliorée et une seconde expédition de 30 hommes atteint Palmyre et y séjourne 4 jours. Il en résultera une lettre d'Halifax, aumônier d'Alep,  et deux carnets de voyage des marchands Lanoy et Goodyear. Le tout paraîtra en 1695 dans les Philosophical Transactions de la Royal Society.

Le groupe arriva par le Nord et vit d'abord le château turc sur la montagne qu'ils jugent "confus et mal construit". Le temple de Bel avait été transformé en citadelle au XII e siècle. Les propylées murées, les colonnes brisées, le temple transformé en mosquée avec des inscriptions "arabiks" désespèrent Halifax. Au Nord il note un dôme dont le plafond décoré  semble "taillé dans un ensemble rocheux, ou fait d'un ciment artificiel ou d'une composition, durcie par le temps" (ce plafond est effectivement fait d'une seule pierre).
Halifax décrit ensuite l'arche monumentale, passe devant une mosquée abandonnée, emprunte la grande colonnade et voit une "maison de banquet"  (les thermes de Dioclétien), puis un "palais royal" (le théâtre), note l'aqueduc où "passe un courant d'eaux sulfureuses". Au Nord il voit un groupe de 11 piliers formant un plan rectangulaire puis se dirige vers le "petit temple tetrastyle" (temple de Baal-Shamin)
Il  se dirige ensuite à l'Ouest  vers la vallée des tombeaux et y rencontre quelques "dizaines de tours carrées atteignant 15m".  Halifax pense que ce sont des bastions ou des églises ( il est pasteur) mais note qu'elles comportent plusieurs étages de niches "de bon marbre" avec "des sculptures et des peintures très vivantes"

L'expédition de 1751, le livre de Wood

En 1750 Robert Wood et John Dawkins (1) partent parcourir le Levant. Leur objectif est de localiser les sites mentionnés par Homére mais ils vont surtout explore Palmyre et Baalbek.

Les premiers explorateurs de Palmyre étaient des commerçants qui avaient "écrit  une relation avec toute la candeur et  la vérité possible"(2), il s'agit maintenant "de gens de lettres également habiles et curieux", " des hommes illustres et riches". De leur séjour de 15 jours à Palmyre il résultera un livre "savant" orné de 57 gravures et  publié simultanément en français et en anglais en 1753.

Wood s'étonne d'abord que l'histoire est si peu retenu les noms de Palmyre et de Balbeek.
La référence d'alors est bien sur la Bible  où c'est Salomon qui rebâtit Tedmor (3). Josèphe dit que Tedmor fut appelée Palmyre par les grecs et les romains (4). Comme il n'est fait aucune mention de Tedmor dans Xenophon, ni dans l'histoire des conquêtes d'Alexandre, ni dans les conquêtes de Pompée,  Wood considère que les ruines sont "beaucoup plus récentes que Salomon". Ce n'est qu'avec Marc Antoine qu'il est question de Palmyre dans l'histoire romaine.  Pline est le premier à  décrire une ville florissante  qui " a su conserver son indépendance entre les deux grands empires de Rome et de Parthe".
Du temps de Gallien, Odénat, maitre de Palmyre,  se rangea aux cotés des romains et battit les Perses; en récompense de ses services Rome reconnut  l'indépendance de Palmyre. A sa mort, sa femme Zenobie prit le pouvoir et dut se battre contre Rome, combat dont elle sortit battue: Palmyre devint romaine(5).  On y bâtit encore sous Dioclétien mais elle est presque abandonnée sous Justinien qui la fortifie . Ensuite Palmyre disparaît complètement de l'histoire (6).
Wood  a du mal à dater les ruines, il remarque les colonnes sont corinthiennes et que c'est l'ordre qui apparaît dans les bâtiments antiques les plus récents. Les monuments de Palmyre auraient été construits après "l'âge le plus  heureux des Beaux Arts"(7). Les tours tombes l'étonnent car il n'existe point ailleurs de monuments semblables.
 Wood note que la ville  est idéalement située pour le commerce entre l'Euphrate et la Méditerranée car c'est une oasis arrosée par 3 ruisseaux en plein désert. Il suppose que le commerce des Indes passait par là au lieu  au lieu de la route des caravanes de  son époque,  plus longue, par Damas, Hamah, Alep, Bir..
Palmyre doit donc sa richesse au seul commerce puisqu'il n'est guère possible de cultiver. Les Palmyriens étaient en République, leur culte était païen et il est étonnant de ne pas trouver de ruines de cirque (8).

Wood décrit ensuite  les inscriptions en grec, en latin et en palmyrien. Il donne la copie de 27 inscriptions " "pour corriger les erreurs de la première copie"
Halifax avait déjà relevé des inscriptions, en 1706, Giiraud et Sautet, voyageurs français, font de même.  L' alphabet palmyrien sera déchiffré en 1754 simultanément par JJ Barthelemy et J Swinton.
Vogué et Waddington poursuivront les travaux épigraphiques à la fin du XIXe Siécle mais il faudra attendre le XXe siècle pour connaitre un peu la civilisation de Palmyre.
On a ensuite un bref récit du voyage de damas à Palmyre sous la protection des troupes d'un aga local résidant à Hassia puis un commentaire des planches de l'ouvrage.

  1. Ils ont un 3e compagnon, Bouvery, qui décédera au début du voyage  
  2. Panckoucke. Géo moderne p 545 reprenant Wood p 48
  3. II chroniques VIII 4: " il rebâtit Tadmor et toutes les villes de dépôt qu"il avait bâti dans la région d'Hannath" et Rois IX 17
  4. Antiquités judaïques 8 ch Ij "à deux journées de la haute Syrie, à un jour de l'Euphrate et à 6 de Babylone"
  5. Les exploits de Zénobie  sont rapportés par le seul Zozime de Vospicus. Aurélien, vainqueur, l'aurait épargné et emmené à Rome.
  6. Le dernier à parler de Palmyre et de ses ruines est l'écrivain arabe Abulféda vers 1321
  7.  C'est à dire après JC !
  8. Ces ruines existent bien mais étaient trop dégradées pour être identifiables
Dawkins et Wood découvrant Palmyre par Hamilton.
Cette représentation complètement fantaisiste marque l'importance de l’événement.
Plan des ruines
On note en Bas le temple du soleil ( de Bel), au centre les propylées, à droite l'enceinte de Justinien ( de Zénobie, de Dioclétien). En haut le camp de Dioclétien, le château turc et les sépulcres (tours tombeaux)
Voir la reconstitution de la ville antique  pas JC Golvin
Plan de Wood et plan moderne du temple de Bel.
Quand le plan de Wood est dressé, le temple est transformé en fort, occupé par une mosquée et des maisons, il tente donc une reconstitution dans sa pureté  géométrique.
Le plan moderne montre l'escalier décentré du temple, une rampe (E) pour les animaux, deux plateformes (A,B) et une salle de banquet (C).
Notez que le culte à Palmyre est celui d'une triade: Bel et ses deux parèdres (soleil et lune), ce qu"ignore Wood qui ne parle que de temple du soleil.
Temple du soleil vu de l'angle Nord-Ouest de la cour
Voir la reconstitution de JC Golvin 
Grande arche de la rue principale
Un temple
Il s'agit du temple de Baalshamin, le temple de Nabu n'est pas gravé.
Vue d'un édifice.
Il s'agit de l'édifice central du camp de Dioclétien dont Wood donne une reconstitution erronée

Les explorations suivantes

Durant tout le XIXe siècle on explore Palmyre.
M Volney  écrit Voyage en Syrie et en Orient en 1782 . Louis François Cassas .réalise 200 dessins du site en 1785. S S  Abamelek découvre le tarif de Palmyre en 1883
Avant la grande guerre les allemands entreprennent des fouilles mais après  guerre la Syrie est placée sous mandat français et c'est Henri Seyrig et Robert Amy qui dirigent les travaux.
Les fouilles reprennent après la seconde guerre mondiale et sont arrêtées en 2011.

Vers le 20 mai 2015, des troupes appartenant au soi-disant État islamique  atteignent les  ruines de Palmyre. De fin août à octobre 2015, elles ont détruit plusieurs parties de la ville, notamment le temple de Baal-Shamin, le temple intérieur de Bel, l'arc monumental et plusieurs tombes à tour. Des statues du musée archéologique de Palmyre ont été détruites et d'autres objets archéologiques ont été pillés. Divers quartiers de la ville antique, tels que le théâtre romain, ont été utilisés pour organiser des exécutions de soldats, de prisonniers et de civils, dont l'ancien directeur des antiquités de Palmyre, Khaled al-Assad.

Sites et références

  • Les ruines de Palmyre, autrement dit Tedmor au désert. Robert Wood 1754 
  • Les ruines de Palmyre. Illustrations. Robert Wood 1819 
  • Essai sur le génie original d'Homère avec l'état actuel de la Troade. Robert Wood 1777
  • Les  référence anciennes à Palmyre sont rares et liées à la Tadmor de Salomon (II Chroniques VIII 4) comme par exemple dans la Cosmographie universelle (Thevet 1575), mais dés la fin du XVIIIe siècle Palmyre est devenue une référence obligée dans les "histoires universelles" (Calmet) ou les cours d'architecture (Viel)
  • Encyclopédie Diderot. T XI p 798. L'article Palmyre reprend la description de Wood.  T XII des planches (supplément) 1777. Les  planches 9 à 12 sont des copies des gravures de Wood.
  • L'Euphrate et le Tigre. Anville 1779
  • Voyage en Syrie et en Orient. Volney  1787. On y retrouve la vue générale de Wood. Après ses voyages Volney écrira "les ruines, ou méditation sur la révolution des empires" paru en 1791. A Palmyre, "dans la vallée des sépulcres, je montais sur les hauteurs... , je m'assis sur le tronc d'une colonne..., je m'abandonnai à une rêverie profonde". 
  • Voyage à Palmyre. L Paschkoff.  Le tour du monde 1er sem 1877 p161. Une russe distinguée et ses deux femmes de chambre visitent Palmyre sous la protection d'une vingtaine de soldats turcs et y mangent du homard..
  • Voyage en Syrie et en Mésopotamie. Max Von Oppenheim. Le tour du monde 1899 p 349. Archéologue amateur et directeur du renseignement allemand en Orient durant la grande guerre, le baron voyage de Damas à Bagdad en 1893 tout en surveillant la construction  de la ligne Berlin Bagdad. Il ouvrira à Berlin, dans une ancienne fonderie, un musée privé qui sera détruit par les bombardements alliés  (voir l'exposition "Royaumes oubliés" du Louvre)  
  • Palmyre. Ministère de la culture. 
  • Palmyre. Google
  • Palmyre. Imago Mundi
  • Palmyre Wikiwand 
  • Palmyre. Clio
  • BD archéologique Université de Lausanne (avec les photographies de P Collart)
  • Halifax.et les Philosophical Transactions
  • Palmyre reconstituée. JC Golvin
  • Les dommages subis par  Palmyre. Unesco