L'improbable réussite de la conquète spatiale soviètique: Korolev et Glouchko

La série A des lanceurs soviètique
Le lancement de Spoutnik en 1957  fut un rude coup pour les USA et apparemment une éclatante démonstration de la supériorité du système soviétique de planification.
En vérité le programme spatial russe provenait des erreurs de jugement des militaires et les hommes qui le mettaient en œuvre étaient de ceux que le régime avait voulu liquider.(1)
Le lanceur R-7 du spoutnik était dérivé du missile balistique intercontinental Semiorka (c’est la série A des lanceurs soviétique dont la descendance actuelle est  Soyouz). Ce missile avait été demandé par les militaires pour lancer une bombe H dont le poids devait être de  3 tonnes. Les américains avaient, eux, décidés d’attendre la mise au point d'une bombe H  plus légère pour concevoir un missile intercontinental.
Bien vite les russes ont constaté que le poids de la bombe H serait de 5 à 6 tonnes  et Semiorka s’est trouvé sans emploi. Ce missile dépassé n’avait qu’un étage (2), on lui en adjoignit un second et spoutnik fut lancé.
L’artisan principal, l’architecte de Semiorka, était Serguey Korolev. Cet ingénieur fut,  dans les années 30, membre (avec sa femme) de l’Institut de recherche pour la propulsion par réaction. Il fut arrêté en Juin 1938 et envoyé au goulag (3) ou il perdit la majorité de ses dents .
Le RD107 de 100 tonnes de poussée
Un des dénonciateurs de Korolev s’appelait Valentin Glouchko, arrêté en Mars 1938, et interné.  Glouchko est le motoriste de Semiorka  (4). On devine que Korolev et Glouchko ont collaboré   mais étaient ennemis jurés.
Ces deux personnes ont survécu grâce à la seconde guerre mondiale, Staline s’est alors rendu compte qu’ils étaient encore vivants et qu’il avait besoin d’eux (5).
L’encyclopédie soviétique de l’astronautique mondiale (6) consacre deux longs articles élogieux à Korolev et à Glouchko en omettant « l’intermède » sibérien.
Trois ans (et quelques échecs cachés) plus tard le même lanceur atteignait la lune.
En 61 c’était Gagarine qui prenait place dans le vaisseau Vostok
L’étape suivante était de réussir un vol habité sur la lune: ce fut le programme N1
A vrai dire on avait développé non un, mais deux programmes lunaires . En effet à la suite  du Semiorska des années 50, Korolev et Glouchko s'opposent sur le type de carburant  à utiliser.
Korolev est partisan  de l'oxygène, du kérosène ou de l'hydrogène alors que Glouchko pense que des ergols toxiques tels que l'acide nitrique, l'UDMH ou le peroxyde d'azote sont nécessaires pour obtenir les performances requises.
Glouchko profite de l'apparition d'un rival de Korolev: Tchelomei  Celui-ci a le soutien de Khrouchtchev et  va développer l’UR500 avec  les nouveaux moteurs de Glouchko  (6 RD 275 UDMH/N2O4) . Ce lanceur était d’architecture plus moderne mais de performances comparables au R7 . On en dérivera le Proton qui assurera des missions circum-lunaires. (7)
Tchelomei et Glouchko  essayeront  de ruiner le programme N1 en proposant  un contre projet encore plus gigantesque: UR-700. 
Les 30 moteurs de la N1
Le lanceur N1 était de la même taille que Saturn 5 mais n’avait que des moteurs liquides (8), seule technologie que l’URSS maitrisait.
Au départ, les moteurs devaient être des RD270 de Glouchko mais ce fut des moteurs conçus par Kuznetsov qui furent retenus . Le premier étage comportait 30 moteurs (avec des RD270 il en aurait fallu 6) (9)
Korolev mourut  en 1966, le premier tir de N1 eut lieu en 1969.
L’ accumulation de moteurs de N1 s’avéra explosive: 4 essais, 4 échecs dont un détruisant complétement le pas de tir.
Paradoxalement l'explosion de la N1 signe l'arrêt de mort de l'UR700 dont l'explosion avec des moteurs à ergols toxiques aurait eu des conséquences catastrophiques.
Le projet  N1 fut définitivement abandonné en 1974 (10).
L’URSS avait perdu la course à l’espace.
Elle avait bien développé de nombreux autres lanceurs, tous dérivés de missiles (Rockot, Angara, Dniepr, Start, Zenith, cyclon ) mais rien de « percutant ». Cette profusion reflète plutôt l’importance du budget militaire et l’absence de rationalisation.
La dernière tentative sera de développer une navette, cette fois ci en copiant la solution américaine: ce sera Bourane et son lanceur Energia.
Glouchko mourra en 1989 après avoir conçu le moteur RD170 qui devait équiper la navette spatiale soviétique.
  1. Pour des articles complets sur le programme spatial soviétique consultez:
    http://www.capcomespace.net/dossiers/espace_sovietique/
    http://en.wikipedia.org/wiki/Soviet_space_program
    http://www.astronautix.com/articles/sovstory.htm
  2. un étage et demi pour être exact : un corps central et 4 « accélérateurs »
  3. Andrei Koustikov était le dénonciateur « primaire ». Il devint directeur de l’institut et fut arrêté quelques années plus tard pour malversations.
    Tupolev, Petliakov, Miassichtchev, Neman, Putilov, Tvhijevski, Tchériomoukhine, Markov, Bazenkov... bref toute l'élite de la construction aéronautique furent arrêtés envoyés en camp, puis transférés dans des "charagas" (ou charachkas, bureaux d'études au personnel principalement composé de détenus) lorsqu'on eut besoin d'eux. Une charaga est décrite dans le "premier cercle"  ou dans l'ouvrage paru sous le pseudonyme de Charaguine.
  4. Le moteur central était un RD108 à 4 tuyères ,les 4 accélérateurs sont des RD 107 .
  5. Korolev et Tupolev ( accusé lui d'avoir vendu à la Pologne les plans du Bombardier TB-2) travaillerons durant la guerre dans une "prison pour savants", la charaga 149 de Moscou.
    Il faut rappeler l’ampleur des purges dans le parti et dans l’armée.
    70% des membres du CC de 1934 furent fusillés, plus de 50% des délégués au congres furent arrêté.
    Pour l’armée on liquida: 3 maréchaux sur 5,  8 amiraux sur 8, 14 des 16 généraux d’armée, 60 généraux de corps d’armée sur 67 ,  136  généraux de division sur 199, 221  généraux de brigade sur 397, 35 000 officiers. Les condamnés  qui pouvaient être « utiles » à l’effort de guerre et avaient échappé à l’exécution immédiate furent  souvent ramenés du goulag en 1941
  6. Edition MIR 1971. Glouchko en est le rédacteur en chef !
  7. Les Proton(s)  représentent la série D des lanceurs soviétiques
    Les séries B et C, moins puissantes, étaient aussi dérivées de missiles.
    Cholomei embaucha en 1958 le fils de Kroutchev, ce fut surement son meilleur coup de génie.
  8. Les  fusée comme Saturn ont des boosters à poudre ( de très forte et très brève poussée) et un ou des moteurs principaux liquides ( de durée de poussée plus longue)
  9. La N1 avait des moteurs cryogéniques, une vraie nouveauté pour l’époque, qui impliquait une puissance unitaire faible.  
    Après l’arrêt du programme, en 1974, l’ordre est donné de détruire les moteurs ayant équipés la N1. Une centaine fut cependant conservé et après la chute du mur ces moteurs à flux intégré et non dérivé furent proposés aux occidentaux.  Ils parait qu’il s’agit des moteurs kéroséne/O2 les plus performants jamais construits.
    La Russie conserve une industrie spatiale puissante avec une expertise unique dans certains domaines comme par exemple les bâtis moteurs tubulaires.
  10. Le premier et énorme étage du N1 ne pouvait être transporté. Il a donc été construit directement sur le cosmodrome ce qui rendait trop difficile tout test statique préliminaire. 

Sites et références