Lyssenko avait-il raison ?

Ceux qui connaissent la carrière de Lyssenko ne peuvent que condamner cet opportuniste, pseudo scientifique, dont les idées sur la transmission de l'acquis d'une génération à une autre   furent en partie cause de l'échec de l'agriculture soviétique et entraînèrent   la mort de milliers de personnes sous Staline.
Bien plus récemment, après la découverte de l'ADN on a pensé que l'inné était l'élément essentiel pour comprendre le vivant et que l'acquis n'était que marginal et en tout cas intransmissible d'une génération à l'autre.
Il semble que le débat n'est pas clos et que l'acquis, l'influence du milieu, revient en force dans les publications récentes.  
Dans les années 30 les théories racistes d'Hitler commencent à prendre de l’ampleur: la race l’hérédité expliquent toute chose. En URSS le parti a au contraire besoin d'une théorie qui permettrait de dire que l'homme peut être transformé par le communisme.

En passant du politique au scientifique le débat opposera  la prééminence de l'inné sur l'acquis ou celle de l'acquis sur l'inné en biologie sur ... les plantes.

L'inné semblait conforter par les travaux de Mendel sur l’hérédité et ceux de Morgan sur les gènes il fallait donc au parti communiste une théorie opposée.
Lyssenko va fournir des expériences sur la transmission des caractères acquis. Il prend pour caution  les travaux de Mitchourine, un modeste jardinier, agronome autodidacte,  qui sélectionnait les graines et auquel Lenine s'était intéressé.
On créa ainsi une biologie soviétique en opposition à la biologie capitaliste.
Vavilov, directeur de l'institut de biologie et membre du soviet suprême, tente de s'opposer à Lyssenko mais  fut déporté en 1940 et mourut en prison en 1943.  Tous les biologistes Mendelo-Morganiens ou soupconnés de l'être furent déportés .
Le principal argument de Lyssenko contre  ses contradicteurs  était que le parti approuvait ses thèses.
En 1938 il prend le contrôle de la biologie " de classe" soviétique et le gardera jusqu'à la chute de Khrouchtchev.

Le premier "succès" de Lyssenko est la vernalisation (1) qui permet de transformer le "blé d'automne" en "blé de printemps". Le blé de printemps ( espèce à semer au printemps) est de faible rendement, le blé d’automne (semé à l'automne et  ne poussant qu'au printemps suivant) est de maeilleur rendement mais est exposé aux gelées.  Pour transformer un blé d’automne en blé de printemps on mouille légérement les graines  et on les expose à une température de 0°C durant 50 jours; il suffit ensuite de les semer au printemps.

Lyssenko prétend qu'il faut planter "en nids" et que si les plantules qui sortent seront trop nombreuses   la plupart se "sacrifieront" pour que l'une d'entre elles survivent.
Lyssenko fait perpétuellement l'analogie entre biologie et société: "Comment expliquer pourquoi la biologie bourgeoise attache tant de prix à la concurrence intraspécifique ? C'est qu'il lui faut justifier le fait que dans la société capitaliste la grande majorité du peuple vit dans la pauvreté"
La plantation en nids sera à la base du "grand plan de transformation de la nature" qui visera à établir des forêts dans les steppes. Hélas les pousses d'arbre mourront victimes de la sécheresse et de la concurrence intraspécifique bourgeoise.

Emporté par son élan Lyssenko met au point la théorie de "la transformation des espèces"  selon laquelle il est possible de donner naissance à du blé à partir du seigle et une de ces épigones reprend même la théorie de la génération spontanée (2)

En France après guerre, le parti compte parmi ses rangs Marcel Prenant un bon biologiste et honnête homme. Il a défendu l'idée que le néo Darwinisme était compatible avec le marxisme mais le parti lui demande de soutenir les thèses de Lyssenko.
Prenant tente dans un premier temps de concilier Darwin et Lyssenko. Cette attitude peu enthousiaste lui vaudra d'être écarté du parti à partir de 1950.(3)
En 1950 le parti  charge Claude-Charles Mathon  , autodidacte de 23 ans,  de reproduire en France les expériences de Lyssenko, ce qui se solde évidemment par un échec qui n'entame pas l'enthousiasme de Thorez.

Et maintenant ?

La description de l'ADN date de 1953. A partir de là on pense que la messe est dite: l'inné est prépondérant sur l'acquis qui ne peut en aucun cas se transmettre de génération en génération.
Science et Vie en Mars 2013 consacre un dossier à "l'intelligence des plantes". La référence  principale  est une publication de 1983    "Changements rapides induits par un dommage dans la chimie de feuilles d’arbres : la preuve d’une communication entre les plantes" (4). ou il est montré que si on effeuille un peuplier il produit plus de tanin pour se défendre mais envoie aussi un signal chimique qui fait que ses congénères ont le même comportement.
On cite aussi l'entraide entre les graines d'arbre ( rappelez vous les nids de Lyssenko), l'apprentissage du mimosa...
Revoilà donc l'entraide entre les plantes  !
Bien plus fort que Lyssenko : les plantes sont intelligentes.

Bien sur on trouve souvent dans Science et Vie des titres accrocheurs mais quelques numéros plus tard on passe des plantes à l'homme en s'appuyant sur une étude suédoise montrant une corrélation entre l'alimentation des arrière  grands parents et le taux de mortalité constaté aujourd'hui (5)
Le dossier s'intitule "Penser acquis plutôt qu'inné" (6). Certes les gènes existent mais ils ne s'expriment que si les conditions sont favorables et leurs modifications par l'environnement seraient transmissibles.
C'est donc le grand retour de Lamarck contre  Darwin et de Lyssenko contre  Mendel.(7)

Je n'ai personnellement aucune opinion car je ne sais pas sur quoi la fonder. La biologie est contaminée par les  sciences humaines ou il est très aisé de prétendre péremptoirement tout et son contraire (8). Il est également très courant d'utiliser par "analogie" une théorie  concernant un des aspects du vivant pour l'appliquer à la constitution de la société. Il semble donc impossible d’interpréter  des résultats  qu'il soit justes ou faux (comme ceux de Lyssenko).

Il est curieux que le passé récent (Lyssenko ou les théories racistes) ne soit pas convoqué au débat alors que le bouillonnement actuel me semble avoir exactement les mêmes moteurs. Il nous faut une théorie "biologique" adaptée  à la société contemporaine: il faudrait qu'elle propose  une forte dose d'individualisme tempérée d'un zeste de solidarité avec transmission des caractères acquis (9).

Notes 

(1) stade de développement supposé du vivant durant lequel il est particulièrement sensible aux conditions extérieures
(2) Olga Lépichinskaya prétend que les cellules appaissent à partir de matière indifférenciée comme le blanc d'oeuf.
(3) Dès 1948, Aragon, dans la revue Europe, reproduit le discours de Lyssenko à l'académie des sciences et condamne la biologie bourgeoise comme étant la  "théorie des moines" ( allusion à Mendel qui était moine à Brno)
(4) T Baldwin et Jack Schultz  dans Science
(5) L O  Bygren 2001 et 2006, étude d'un petit village isolé "Cardiovascular and diabetes mortality determined by nutrition during parents' and grandparents' slow growth period", "Sex-specific, male-line transgenerational responses in humans."
(6) Septembre 2013, dossier par le journaliste physicien Emmanuel Monnier
(7) On retrouve aujourd'hui l'expression " génétique mendelo-morganienne" chère à Lyssenko ( par exemple  La génomique, ouvrage collectif ). Pierre Sonigo écrivait en 2003: "l’information génétique est une version moderne de la « forme » d’Aristote dont, par nécessité de cohérence, elle réintroduit toute la métaphysique." alors que Lyssenko disait "Weismann a donné à sa conception le nom de néo-darwinisme, mais en fait elle rejetait purement et simplement les côtés matérialistes du darwinisme et introduisait en fraude l’idéalisme et la métaphysique dans la biologie".
Les adversaires font de la métaphysique alors qu'eux font de la science pure !
(8) Ne voila t'il pas que la notion d'animal dominant dans une meute est remise en cause !
(9) Pour assurer la stabilité sociale il faut transmettre; le sang n'étant plus le bon vecteur, essayons le mérite ou l'argent.

Sites et références